Le manoir de La Peltrie
Cette
noble demeure, aujourd'hui si mutilée, est assise dans un grand vallon au
milieu d'une verte et belle prairie. Les bruyères de Bubertré la domine au
nord. Et au sud, de riant et fertiles coteaux où la riche nature étale plus
d'un genre de beauté pittoresque. La famille de Trédern, qui possédait ce
domaine avant la révolution, et même depuis, se vit à son grand regret,
contrainte de l'aliéner dans les premières années de la restauration, par suite
des malheurs qui avaient pesé sur elle dans les temps désastreux du
Robespierrisme. Vendu à un simple paysan, pour la modique somme de 80000 francs
, le nouveau propriétaire eût bientôt mis le joli manoir en harmonie avec sa
condition et sa manière de vivre. Le château des nobles sires de Bivilliers, se
vit métamorphosé en rustique métairie, à l'exception de deux ou trois pièces
réservées pour héberger le bonhomme d'acquéreur et sa progéniture. Le reste du
logis, salles, salons, chambres élégantes, boudoirs et gracieux cabinets furent
impitoyablement transformés en celliers, fenils et greniers. L'araignée put
désormais y filer ses toiles à loisir, les tendre impunément sur les murailles
nues, à la place des anciennes et élégantes tapisseries. Des bouchons de
chiffons ou de foin remplacèrent les vitres à mesure que le vent ou la vétusté
les firent disparaître.
Ce
manoir, suivant l'usage du siècle où il fut construit, était flanqué de trois
tours cylindriques, couronnées d'un toit arrondi, se terminant en forme de
cône, couvert en ardoise et surmonté de girouettes féodales. Ces tours
restèrent debout pendant l'existence du bonhomme d'acquéreur qui eût le bon
esprit de les respecter. Mais à peine la mort eût-elle clos sa paupière, que
ses héritiers, après leur partages effectués, exercèrent à l'envie leurs
vandalisme, les vielles tours croulèrent, et leurs différents matériaux,
pierres, charpentes et ardoises furent vendus à l'encan. Il ne reste plus
aujourd'hui que le principal corps de logis à deux étages, dépouillé de ses
tours avec lesquelles il s'identifiait. Il fait mal à voir, on dirait le tronc
d'un homme qui a perdu ses bras; Pour comble d'ignominie un vilaine baraque
servant d'étable vient d'être adossée au principal mur de sa façade, près de la
porte du grand salon. Je ne puis voir le logis sans éprouver un sentiment de
tristesse mêlé d'indignation.
De
tous les accessoires qui faisaient la noble demeure, un asile enchanteur, il ne
reste plus avec la pièce d'eau, que quelques rares sapins et autres arbres de
son haut bois féodal qu'encombrent d'ailleurs les ronces et les broussailles.
Les longues et magnifiques avenues bordées d'ormeaux, de peupliers et de sapins
, dont l'épaisse et verte chevelure formait au dessus de chaque allée une voûte
de verdure, où l'on goûtait aux beaux jours de l'année tous les charmes de la
promenade, tout a disparu. Les arbres
séculaires, témoins de tant de bonheur et de joie, roulèrent tour à tour, sous
la hache du bûcheron, du vivant même de Madame de Trèdern, qui malgré ses
regrets se vit par le malheur, contrainte de préluder elle-même aux cruelles
destinées de la demeure de ses aïeux. Ce château auquel ne se rattache aucun
souvenir historique est situé à l'ouest et à l'entrée même du village de
Bivilliers, distant d'une demi-lieue de Tourouvre, dans la même direction.
Extrait de "La Pèlerine
Percheronne" de l'abbé Fret, inclus dans l'ouvrage de la S.H.A.O.
Madame de La Peltrie:
Madeleine
(1603-1671) , fille de Guillaume Cochon, seigneur de Vaubougon et de Chauvigny,
épousa en 1622, Charles de Gruel, Seigneur de la Peltrie, petit-fils de
Philibert de Gruel et de Françoise de Bubertré. Ce dernier mourut au siège de
La Rochelle en Juillet 1628. Veuve à
25ans, et "se voyant sans enfant et
avec de grands biens, elle délibéra devant Dieu sur ce qu'elle avait à
faire et ne souffrit pas peu dans son
esprit avant que de se déterminer: car d'un côté elle se sentait fort portée à
reprendre ses premières pensées de la Religion; de l'autre, les richesses que
Dieu lui avait données, lui présentaient un moyen bien avantageux pour procurer
un secours notable à la conversion des peuples barbares du Canada" ( Dom
Claude).
Parallèlement,
une jeune Ursuline de Tours, Marie Guyart (1599-1672) ou Sœur Marie de
l'Incarnation, femme d'affaires, mystique et mère de la Nouvelle France, a le
désir de fonder une nouvelle maison au Canada.
La
rencontre de ces deux femmes se fera en 1637, l'une a un projet bien défini et
l'autre les fonds nécessaire. Une fois réglées toutes les difficultés
administratives, une flotte sera affrétée et appareillera le 4 Mai 1639 à
Dieppe, pour un voyage de trois mois.
Madame
de la Peltrie passa trente-deux ans au Canada , dont dix-huit comme lingère de
la communauté. Elle portait de misérables vêtements pour donner les meilleurs
aux pauvres, s'imposait de fréquents jeûnes et de dures pénitences et ne
manquait jamais un office.
"
Ce fut le 12 Novembre 1671, que Mme de la Peltrie illustre par sa naissance,
mais beaucoup plus considérable par ses propres vertus, tomba malade d'une
pleurésie, qui l'emporta le septième jour."
Le
couvent des Ursulines au Québec, plusieurs fois détruit et reconstruit,
conserve encore aujourd'hui le souvenir très vivace de sa fondatrice et de
Marie de l'Incarnation .
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